La mort et l’art – L’exemple de La résurrection de Lazare (1608) par Le Caravage
Dans l’un de ses ouvrages sur l’art chrétien, André Grabar soulignait qu’il a limité ses recherches aux oeuvres antérieures à la fin de la période médiévale, car selon lui les images chrétiennes n’étaient plus issues de traditions, mais bien assouvies à l’interprétation des peintres et des sculpteurs. Autrement dit, « l’iconographie cessait d’être ce langage visuel qui faisait pendant à un langage verbal [1] ». D’autres changements vis-à-vis la perception de la mort se seraient effectués entre la fin du XVe et le XVIIIe siècle. Le développement des sciences et de la philosophie aurait entraîné le délaissement de l’exclusivité religieuse au profit des discours laïcs et littéraires. Une nouvelle angoisse s’est établie, révélant un argumentaire à la fois obsessif et presque désensibilisé. La mort est désormais omniprésente, que Le Caravage (1571-1610) l’exhibe dans ses peintures, avec un accent réaliste et exorbitant, ou que Jean-Sébastien Bach la célèbre en musique, avec des notes grandioses et tragiques [2]. Le Caravage était un artiste qui se battait contre les normes et la tradition. Il a évolué dans le tournant du XVIIe siècle, à une époque où les relents de Martin Luther et du protestantisme se faisaient encore sentir, bien que l’Église catholique de Rome dominait toujours la culture. Malgré cela, cet artiste a décidé d’utiliser un angle différent pour les personnages saints : il les représentait régulièrement comme des gens ordinaires, ce qui ne manquait pas de choquer les instances religieuses. Dans l’oeuvre La résurrection de Lazare (1608), toute l’action se déroule dans la partie inférieure de la toile, la partie supérieure restant vacante et assez sombre. Il y a plus de personnage que dans la plupart de ses tableaux, probablement en raison de la tradition iconographique du thème. Par contre, l’artiste apporte une valeur plus expressive et personnelle au sujet. La résurrection de Lazare était un thème moins traité à l’époque, on croit donc que l’artiste se serait également inspiré de textes religieux. Dans une perspective plus hypothétique, les chercheurs prônent la théorie que Le Caravage était effrayé par la mort, ce qui expliquerait sa palette sombre. Nous croyons également que, dans la même logique, il aurait personnifié le thème et se le serait approprié, se situant lui-même dans le tableau, tel un message d’espoir pour son propre salut.
[1] André Grabar. Les voies de la création en iconographie chrétienne : Antiquité et Moyen Âge, Flammarion, Paris, 1994, p. 9.
[2] Élise Prioleau. Le lien symbolique entre les vivants et la mort en Occident; entre déni et omniprésence, (mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, Montréal, 2011). [http://www.archipel.uqam.ca/4077/1/M12039.pdf] p.16.
Véronique Bibeau, artiste et rédactrice pour NECT’ART
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